Les chroniques d’un monde nouveau — Épisode 1 : La pub sur Internet, un mal nécessaire ?
Aussi longtemps que j’ai connu Internet, je l’ai connu rempli de publicité. Le plus souvent aussi envahissante que possible avec tout le mauvais goût du monde. J’ai connu l’époque de la publicité avec des animations HTML, puis l’évolution en flash qui apparaissait du bas de l’écran, l’air de rien. J’ai connu la pub pop-up, de préférence porno, qui te saute à la gueule quand tu visite un site de chaussures. Et puis j’ai connu la pub sonore aussi ; celle qui dit “vous voulez gagner 20 000€ comme ça ? En 20 minutes ? Non, ceci n’est pas une arnaque !”
Et puis j’ai découvert AdBlock, comme tout technophile finit par le faire. Et je suis entré de plein pied dans la guerre de la publicité sur Internet.
AdBlock et la guerre des nerfs
Le point de départ de ma réflexion est cet article qui se demande si les éditeurs de sites Internet se posent les bonnes questions dans leur guerre contre AdBlock.
L’article détaille avec minutie les différentes étapes d’une guerre des tranchées qui dure depuis une dizaine d’années maintenant et dont nous vivons probablement le point d’orgue. Il questionne la pertinence de cette guerre que les éditeurs mènent en fait contre leur lectorat en demandant si contourner l’utilisation d’AdBlock n’est pas contre-productif et s’il ne serait pas plus malin pour eux de faire comprendre à leur lecteur que la publicité sert à les financer et quand acceptant de la regarder, le lectorat soutient le site.
La réflexion est intéressante et a le mérite de poser des questions pertinentes mais celles-ci sont-elles — comme l’article semble le sous-entendre — vraiment les bonnes, cette fois-ci ?
Pourquoi pas sans publicité ?
La question peut sembler provocatrice et pourtant, je la trouve tout à fait pertinente. Bien évidemment, l’on me répondra que la publicité finance les contenus que je lis et paie les gens qui le produisent mais cette explication est loin de me satisfaire.
Internet a généré un mode de production des contenus complètement nouveau. Un paradigme que j’aime à comparer à la programmation par Inversion de Contrôle (IoC).
Le paradigme par inversion de contrôle est très simple : habituellement, lorsqu’un développeur code une appli, ou une partie d’un programme, il en développe le coeur, la machinerie qui va tout coordonner, et s’aide d’outils externes pour effectuer certaines tâches (les frameworks) qui sont des sujet manipulés de ce coeur. En programmation par IoC, c’est précisémment l’inverse qui se passe : c’est le framework, qui s’occupe de l’exécution du programme et le développeur s’occupe alors de broder la logique dont il a besoin et de la rendre disponible pour le framework.
Sur Internet, les choses sont assez similaires : auparavant, la manière classique de produire et consommer de l’information était un cadre dans lequel une structure (un journal, une chaine de télévision) produisait ou recherchait l’information et la rendait disponible au lectorat. Puis les choses se sont inversées et une grande partie du lectorat a eu la possibilité de rechercher et produire elle-même le contenu. Un contenu parfois si pertinent que les structures classiques s’y approvisionnent désormais.
La question du financement des structures productrices de contenus est pertinente lorsque la structure produit un travail qu’elle est la seule à pouvoir produire et le vend à son lectorat, mais beaucoup moins dès que le lectorat est capable de produire et publier son propre contenu. Il n’est par exemple pas rare de lire n’importe quoi à propos d’informatique dans Le Figaro et d’avoir un point de vue beaucoup plus pertinent dans les billets de Benjamin Bayart.
Pourquoi ne pas financer ?
Un autre aspect que je trouve intéressant est celui de la nature de l’information. Puisqu’Internet permet à beaucoup de produire un peu d’information, le travail de recherche de cette information se partage massivement et le gros qui reste à faire est d’analyser cette information. C’est traditionnellement le travail du chroniqueur.
Mon impression est que dans les organes de presse traditionnels d’aujourd’hui, le travail de recherche de l’information n’a que très peu de place et de nombreux articles ou émissions ne sont plus que de la présentation de chronique et d’avis sur telle ou telle question. Or on observe une dichotomie évidente entre les chroniqueurs traditionnels qui sont payés pour chroniquer dans les organes de presse traditionnels et les blogueurs sur Internet qui le plus souvent, à l’inverse, paient pour pouvoir s’exprimer.
Et cela semble remettre les choses dans leur ordre naturel. Car pour moi, lorsque nous écrivons sur des blogs, ce n’est pas que pour nous. Nous n’écrivons pas pour le simple plaisir de soliloquer. Nous le faisons pour échanger avec la communauté. Or, personne n’attendrait d’un membre de la communauté se fasse payer pour qu’il partage avec elle. Ça n’aurait aucun sens. Et je ne comprends pas vraiment pourquoi certains chroniqueurs doivent être payés plus que d’autres pour dire ce qu’ils pensent.
Reste qu’au final, ces structures productrices de contenus malgré tout, doivent être financés, par un moyen ou un autre. Mais personne ne semble s’intéresser à la possibilité que les producteurs de contenus se financent eux-mêmes. Prenons l’exemple de ce blog. Il n’a pas de publicités, ce que je trouve très sain. Et pourtant, si Laurent se trouvait dans la nécessité de trouver des financements extérieurs, je ne lui conseillerait pas d’en y incruster. Je serait même prêt à cotiser moi-même pour pouvoir continuer à y écrire (pas tout de suite par contre si tu veux bien, parce que chuis encore plus ou moins pauvre ! ).
Certes, cela oblige à changer de modèle et à en adopter un dans lequel le contenu est produit par un ensemble plus grand de structures productrices plus petites, capables de s’auto-financer. Mais ce modèle est-il au final moins pertinent que l’actuel ?
La problématique économique
On pourrait aussi analyser la pub sous un angle économique et trouver que déjà, il y a une bizarrerie dans la chasse aux anti-pubs : celui de la nécessité de soumettre le visiteur à la pub pour se financer.
Prenons un exemple simple : un produit en dégustation gratuite dans un supermarché dont le stand serait bardé de publicités pour financer la dégustation. Au début, les clients dégusteraient et regarderaient les publicités mais très vite, écoeurés par ces dernières, ils finiraient par venir au stand les yeux fermés afin de n’y être plus soumis. La question est la suivante : pensez-vous que les propriétaires du stand finiraient par n’autoriser la dégustation gratuite qu’à ce qui y vont les yeux ouverts ? Et au final, serait-ce un bon modèle économique ?
Essayons d’analyser le problème sous cet angle : dans une économie de marché, une entreprise n’est censée survivre que si elle a un modèle économique viable (ou un bon comptable capable d’optimiser sa fiscalité, mais là n’est pas la question).
Si le modèle économique de l’entreprise repose sur l’obligation pour le client de consommer un produit tiers qu’il n’aime pas, il y a alors plusieurs solutions :
- le client consommera sans broncher le produit tiers (il visionnera les pubs),
- le client ira chez la concurrence (il visitera des sites sans pubs),
- le client trouvera un moyen de consommer le produit visé en se débarrassant du produit tiers (il bloquera la pub).
Au fur et à mesure du temps, les clients du cas 1 finiront par devenir moins nombreux au profit des clients des cas 2 et 3 et l’entreprise, engluée dans un modèle économique non-viable tentera d’éliminer le cas 3.
Une partie des clients du cas 3 reviendra probablement vers le cas 1 mais nul doute qu’une grande part ira simplement chez la concurrence. C’est ce qui s’est passé pour moi : j’ai cessé de fréquenter les sites qui tentaient de m’imposer la pub.
Se pose alors une question : hors Internet, une entreprise dans ce modèle économique tenterait-elle d’obliger ses clients à repasser dans le cas 1 ? Par exemple : si vous achetiez une voiture en leasing à un prix dérisoire pour peu que l’on vous impose de la publicité sur le tableau de bord et que vous arrachiez ces publicités, le constructeur de la voiture trouverait sans-doute des moyens pour vous l’imposer quand-même. Accepteriez-vous sans broncher ou finiriez-vous par tout simplement aller acheter votre voiture ailleurs ?
Bien évidemment, la pub est beaucoup plus facile à éviter sur Internet que sur la route. Mais, confrontés à ce problème, je trouve dommage que la grande majorité des acteurs ne puissent envisager la solution de la disparition pure et simple de la publicité.
La problématique sociologique
Ce que cela prouve, en tout cas, c’est que les gens ne semblent plus si prompts à accepter d’être soumis à la publicité. Surtout depuis que des études psychologiques et sociologiques ont montré que, même avec toute la volonté du monde, il n’est pas possible d’échapper à une soumission inconsciente à celle-ci. Et ce n’est pas pour rien que c’est le moment que choisi Grenoble pour devenir vraisemblablement la première ville dépourvue d’affichage publicitaire dans ses rues.
Il me semble — mais il m’est permis de me tromper — qu’Internet a amorcé la chute inexorable de la publicité en apportant aux individus un mécanisme auquel ils n’avaient jamais pensé auparavant : la possibilité de débarasser un espace public qu’il fréquentent — Internet — de ses publicités. Ce faisant, ils ont pris une habitude qui s’est enraciné et semble avoir fait apparaitre un refus de s’y soumettre.
Il n’y a que sur Internet que ce réflexe pouvait émerger. En effet, dans un espace public physique, c’est le même espace physique qui est partagé par tous. De part sa nature physique, il est beaucoup plus difficile de supprimer de manière systématique la pub croisée sur un chemin quotidien. Par ailleurs, attaquer un panneau d’affichage est un délit. De fait, beaucoup de gens ne se sont jamais posé la question de savoir s’il était légitime ou même possible de supprimer cette publicité.
Sur Internet, les choses sont différentes. L’espace publique n’est partagé, il est cloné. Un personne qui consulte une page web ne la consulte pas un original directement sur le serveur, le seveur lui en envoie une copie. Le code source de cette copie est stockée en clair sur le navigateur et il est très facile de le modifier. C’est donc tout naturellement que sont apparus un jour des extensions de navigateur qui modifie à la volée ces pages pour en supprimer la pub, favorisant l’appraition chez les gens d’un esprit critique face à celle-ci.
Je pense que nous seront, le temps passant, de moins en moins prompts à accepter la publicité — sur Internet ou dans l’espace public — ce qui provoquera sa chute ou sa mutation en d’autres formes, plus sournoises (comme le sponsoring, qui se développe justemment beaucoup en ce moment).
Déjà 5 avis pertinents dans Les chroniques d’un monde nouveau — Épisode 1 : La pub sur Internet, un mal nécessaire ?
Les commentaires sont fermés.
Ainsi, ils ne mettent pas de pub pour payer le site (l’hébergement, le nom de domaine, le certificat ssl…) mais bien comme une source de revenus. Cette pratique est bien sûr critiquable et on en connaît les résultats (Cyrille entre autre a bien décrit les effets de bord parasites de cette pratique) mais elle est ce qu’elle est et en soit elle est compréhensible.
Si tu considères que tout ceux qui sont sur la toile doivent payer pour exister (comme je le fais, comme Cyrille et Laurant le font…) alors tu élimine aussi les gros sites d’info, tous les journaux… qui ont du monde à payer. On peut se plaindre de la qualité des journaux aujourd’hui, dire que Le Monde ou autres ne font plus de grosses analyses, ou qu’on a plus de Robert Capa ou de journaliste partant incognito dans les zones de guerre à la frontière birmane ou dans le désert irakien, mais justement, ça demande du fric ça !
Alors bien sûr, je trouve la pub envahissante, donc j’ai tout simplement dérouté les requetes DNS des sites les plus casse-b****, mais sinon, la question demeure : comment on fait pour faire vivre la presse, l’information, les essayistes, les intellectuels … ? Note bien que je ne prétends pas avoir la réponse, pas plus que je pense que la pub soit pertinente… Mais je pose la question alors que toi tu l’évite, soigneusement…
Je ne critique pas que des gens ou des structures montent des sites pour générer des revenus. Mais ils faut bien qu’ils se rendent compte que leur modèle économique, comme je l’explique, n’est pas viable et je doute que la solution vienne de la chasse à l’anti-pub…
Le constat est là : si encore quelques gros journeaux font de la véritable investigation, ils sont rares. Pour la plupart, ils se contentent de recopier l’AFP. Et pour ceux qui font de la véritable investigation, ce n’est pas par la pub qu’ils se financent. Mediapart en est l’exemple le plus flagrant.
Pour finir :
Alors bien sûr, je trouve la pub envahissante, donc j’ai tout simplement dérouté les requetes DNS des sites les plus casse-b****, mais sinon, la question demeure : comment on fait pour faire vivre la presse, l’information, les essayistes, les intellectuels … ? Note bien que je ne prétends pas avoir la réponse, pas plus que je pense que la pub soit pertinente… Mais je pose la question alors que toi tu l’évite, soigneusement…
Non, je ne l’évite pas. Je la traite, précisémment. Mais pas en cherchant comment payer. Justement en cherchant comment ne pas avoir à le faire. Il faut se rendre à l’évidence : ces métiers ne paient plus. Ils ne vont pas disparaître pour autant, ils seront juste assurés d’une autre manière. C’est pour ça que je dis :
La question du financement des structures productrices de contenus est pertinente lorsque la structure produit un travail qu’elle est la seule à pouvoir produire et le vend à son lectorat, mais beaucoup moins dès que le lectorat est capable de produire et publier son propre contenu. Il n’est par exemple pas rare de lire n’importe quoi à propos d’informatique dans Le Figaro et d’avoir un point de vue beaucoup plus pertinent dans les billets de Benjamin Bayart.
La presse est probablement destinée à mourir.
En clair il explique le vide de ton article sur ce point précis. Tu évitais la question, ça posait donc un problème (à moi au moins). Là tu explique pourquoi. Problème résolu. Merci.