La masse est-elle médiocre ?
Je regardais à l’instant La folle histoire de L’exoconférence d’Alexandre Astier, un web-documentaire qui, comme son nom l’indique, entoure le spectacle L’exoconférence, d’Alexandre Astier. Spectacle que je ne peux que vous recommander de voir.
Mais, regardant ce web-documentaire, je ne pus m’empêcher de tiquer sur cette intervention de François Rollin dont je vous donne la transcription écrite :
« Les artistes ont un rôle à jouer […] dans la connaissance […] mais on est très très très très très très loin du compte.
— Comment tu l’expliques ? (question de la personne qui interview Rollin, ndt.)
— Bah parce que la masse est médiocre, voilà. Parce qu’on vit dans un monde médiocre. Et que, donc, les tendances à tirer un peu vers le haut sont rarement couronnées de succès et battues en brèche, voilà. »
Au-delà de la prétention avec laquelle Rollin — qui visiblement, ici, s’exclue lui-même de cette masse médiocre, puisqu’il considère avoir un rôle à jouer dans la transmission de la connaissance et se voit, par corollaire, comme dépositaire de cette connaissance — affirme ça, ce qui me dérange, c’est surtout l’élitisme d’une telle remarque.
C’est le même genre d’élitisme que l’on retrouve dans la population des professionnels de la politique, chez les « experts » invités permanents des médias et les éditocrates qui se donnent le devoir de faire de la « pédagogie », particulièrement en matière économique. En toute décomplexion, on laisse Jean-Marie Bigard déclarer sur la question du vote dans quelque talk-show de bas étage que « les gens sont cons aussi » (si quelqu’un arrive à me retrouver la séquence, ce serait top, pas moyen de remettre la main dessus). Et c’est ainsi que, véhiculant l’idée que le peuple, par définition, est bête, il est légitime de lui confisquer tout droit de prise de décision sur la vie politique du pays. Tout juste lui accorde-t-on le droit de voter pour quelques élites une fois de temps en temps.
Il ne faut pas être beaucoup sorti de son petit confort bourgeois et ne pas fréquenter beaucoup de monde en dehors de son cercle d’amis du show-business pour déclamer sans rougir de pareilles absurdités. Car rien ne saurait être plus faux. Si vous y croyez encore, je vais briser chez vous un pilier de votre conception du monde : l’image du prolo qui fait de la politique de comptoir devant son Ricard et ne s’intéresse qu’à rien d’autre qu’aux pronostics du prochain OM-PSG, est un mythe. Nope, le français de base ne ressemble pas à ça.
Tout être humain possède une curiosité naturelle. Une volonté innée de découvrir le monde et de s’intéresser à de nouvelles choses. C’est instinctif. C’est un mécanisme de survie. Ce n’est que cette soif d’apprendre qui a permis à l’humanité de se fabriquer des outils. Vous en voulez une preuve ? L’ennui. C’est la sirène d’alerte que déclenche notre cerveau nous arrêtons de nous occuper. C’est ce qui nous pousse à lire, à chercher, à comprendre, à discuter, à jouer, bref, à apprendre. Et c’est probablement la manière la plus efficace de rendre quelqu’un fou. Raison pour laquelle — bien que certains sadiques trouvent ça inadmissible — les prisonniers ont de quoi s’occuper en détention : parce que la prison n’a pas pour but de fabriquer des fous.
Ce n’est qu’en s’intéressant un tout petit peu à quelqu’un d’autre que soi-même que l’on peut se rendre compte que tout le monde est curieux. Que tout le monde a au moins un sujet qui la, ou le, passionne et sur lequel elle, ou il, pourrait parler pendant des heures. Et si vous n’êtes pas toujours en mesure de comprendre l’intérêt de ce passe-temps, ce n’est pas pour autant qu’il n’en présente aucun et qu’il ne peut pas constituer une ouverture sur une somme de connaissances dont vous n’imaginiez même pas l’existence. De la collection de petits cochons en céramique, on en vient facilement au façonnage et à l’histoire de la céramique. De la passion pour les animes on glisse subtilement vers l’apprentissage du japonnais ou du coréen. De l’intérêt pour les films d’arts martiaux, on finit par vouloir en savoir plus sur la spiritualité chinoise. Etc.
C’est pour cette raison que j’ai choisi, avec le camarade Stef, de fonder Full radios, il y a plus de 4 ans. Pour donner la parole à ceux qui ont une passion et qui veulent la partager. Parce que la connaissance ne vient pas que des élites. Et ce n’est que la colonisation des esprits par la culture bourgeoise qui nous a persuadé qu’il n’en existait pas d’autre. Certains aiment le modélisme et d’autres le jardinage. Mais tout le monde a quelque-chose à partager.
Autrement, que seraient les associations, sinon des coquilles vides !? Qui ne s’est jamais inscrit à une association de sa vie ? Ne serait-ce que pour faire du sport ? Les clubs de lecture, de peinture ou d’écriture, sont-ils à l’initiative des dépositaires officiels de la connaissance ? Avons-nous attendu l’aval du Ministère de « la Culture » pour partager nos savoirs ? Et comment pourrait-on comprendre le succès colossal des chaînes de vulgarisation scientifique sur Youtube sans envisager une curiosité naturelle chez l’être humain ?
Non, définitivement, les gens ne sont pas cons et la masse n’est pas médiocre. Le savoir émerge en fait bien plus d’elle qu’elle n’émerge de ses dépositaires officiels.
Déjà 5 avis pertinents dans La masse est-elle médiocre ?
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La connaissance ne vient, heureusement, pas que des élites, mais combien de personnes, sur internet participent activement ? Combien se contentent de Facebook ?
Tu parles des associations (domaine que je connais bien) combien de personnes « moteur » pour tous les utilisateurs (pour ne pas dire consommateurs…) ?
Tu es très positif, moi je le serais un peu moins….
Mais les choses peuvent bouger (dans un sens comme dans l’autre), soyons vigilants et actifs.
Je suis d’accord avec toi cependant pour prolonger le débat une lecture intéressante : En politique comme dans les entreprises, “les médiocres ont pris le pouvoir”
Tcho !