Faire tomber l’anonymat : une bonne idée ?
Anonymat : Se dit de quelqu’un dont on ignore le nom. Ex : Poète anonyme.
Cela fait de nombreuses années que le législateur s’interroge sur la légitimité de l’anonymat en ligne. Internet a pris de l’ampleur : tous les citoyens s’expriment en ligne, profitant de ce nouvel espace de liberté.
La liberté d’expression sur le net a été une révolution pour l’ensemble des sphères politiques, médiatiques, économiques et sociales.
Là, un blogueur parle avec passion de ses hobbies, mieux qu’un journal spécialisé. Là, un professionnel parle de son métier avec un angle différent et amène de nouvelles perspectives. Là, une personne révèle des faits cachés et prend involontairement la posture de lanceur d’alertes et aide les acteurs publiques à prendre conscience d’un problème. Là, une pétition par son ampleur fait émerger une question importante au sein de la société. Et là, un individu mal intentionné insulte des personnes ou un groupe de journalistes, de graphistes et de publicitaires parisiens organise un harcèlement systématique envers des cibles identifiées.
Les plateformes de médias sociaux comme Twitter et Facebook sont un terrain de jeu mondial. Chacun s’inscrit et s’exprime en postant ce qu’il veut : sa vie, son avis, ses coups de coeur et ses coups de gueule, sans filtre, ni censure (ni réflexion ?) et à regrets quelques fois par la suite. Le pire étant atteint quand des utilisateurs se regroupent pour poster volontairement des mensonges, des fausses nouvelles, des contre-vérités et des insultes à caractère discriminatoire (sexiste, homophobe, raciste).
C’est à ce moment là que la plateforme doit agir : elle est responsable du contenu posté chez elle, dans le respect des lois du pays concerné.
Malgré les moyens technologiques et financiers disponibles, Twitter et Facebook semblent ne pas agir assez rapidement (certains diraient « semblent ne pas agir du tout ») pour suspendre les comptes coupables d’un propos tombant sous le coup de la loi.
Que faire ?
De mon point de vue, le législateur doit d’abord contraindre la plateforme à agir et à prendre ses responsabilités. La plateforme doit montrer les dispositions techniques prises pour suspendre les comptes en cause, retirer le contenu concerné et mettre les propos concernés à disposition de la justice. Si le législateur estime le dispositif trop faible, alors la plateforme doit retravailler.
Dans un second temps, les comptes coupables de propos discriminatoires doivent tous être poursuivis. Oui, tous. C’est par l’ouverture d’une plainte que tout commence :
- par la personne s’estimant victime d’une infraction
- par une personne morale (sociétés et associations) pour défendre les intérêts ou les objectifs qu’elle poursuit.
Prenons le cas de Bilal Hassani : il a subi des injures publiques à caractère homophobe. Une fois la plainte déposée, c’est à la justice d’enquêter. L’adresse IP des comptes utilisés, les données Exif des photos montages et des vidéos postées et les informations données lors de la création du compte Twitter ou Facebook incriminé sont autant d’éléments pertinents qui permettront à la justice d’identifier les coupables qui encourent 1 an d’emprisonnement et 45 000 €.
1) Bilal Hassani aura justice rendu.
2) Nous pourrons juger de l’efficacité du travail de la police et la justice. Et si nous nous rendons compte que la justice n’a pas pu être rendu correctement, il faudra voir le ou les problèmes rencontrés et les corriger. N’est-ce pas le rôle des acteurs et décideurs publiques que d’améliorer les choses ?
Et l’anonymat dans tous ça ?
Et bien, il est difficile de mon point de vue d’incriminer l’anonymat en tant que tel. On peut incriminer la bêtise et la méchanceté des gens qui en insultent d’autres mais pas l’anonymat. Penser être anonyme sur le net, même via un VPN ou TOR, est à mon avis assez illusoire. Par les outils techniques et les voies empruntés (ordinateur, téléphone, modem, routeur, cable, borne wifi, serveurs de notre fournisseur…), par le contenu posté, par les réseaux sociaux et les « amis » virtuels que nous fréquentons, penser être anonyme derrière son clavier est illusoire.
Je crois qu’une fois de plus, l’éducation est la clé de nos problèmes, celle prodiguée par les parents dans un premier temps. Je suis assez effaré de voir les enfants de mon entourage, de 9 ans à 13 ans, utilisés leurs téléphones et ordinateurs portables comme bon leur semble, sans accompagnement des parents, ni filtres techniques pour éviter de tomber sur des contenus inappropriés, seuls dans leurs chambres, voir tard la nuit en semaine. Par accompagnement, j’entends la possibilité d’expliquer les savoir-être sur internet. S’exprimer sur internet, c’est comme se promener Rue de la République à Lyon le samedi à 14h : on ne fait pas n’importe quoi.
Le second aspect éducatif serait celui de la connaissance technique : c’est bien de lancer le navigateur internet pour poster un commentaire sur Facebook ou téléverser une photo sur Snapshat mais qu’y a-t-il derrière ? Quels sont les ressorts techniques ? Où va la photo, par quel relais passe-t-elle, où est-elle stockée ?
Le problème majeur des outils numériques est la méconnaissance générale de l’utilisateur. Sans parler de prendre le temps de lire les conditions générales de l’utilisateur….
En tant qu’individu intelligent et raisonné, laisseriez-vous une totale autonomie de votre enfant de 10 ans dans votre maison, lui laissant accès au four, à votre voiture, à toutes les chaînes de télé, à la tondeuse, aux pots de peinture, au sécateur, à la piscine du jardin en accès libre ?
Mais je m’égare et je reviens à mon premier sujet.
A quoi sert donc l’anonymat de manière générale ?
- l’anonymat permet de protéger sa vie privée (ex : je n’ai pas envie que mon entourage connaisse tous les comptes que je suis sur Twitter).
- l’anonymat permet d’aller outre la censure sociale, politique ou d’entreprise (ex : le lanceur d’alerte dans le médico-social ou le monde financier…).
- l’anonymat permet d’entreprendre des actions illégales.
3.1. pour de bonnes raisons éthiques, morales et légitimes (ex : lutter contre un gouvernement tyrannique).
3.2. pour de mauvaises raisons éthiques et morales (ex : insulter les gens, les harceler ou les faire chanter).
Enlever l’anonymat n’est pas seulement lutter contre mon dernier point 3.2. qui est problématique (voir les cas Hassani, #LigueduLOL…) mais tout le reste ! Et là, c’est primordial parce que ce fameux dernier point peut être résolu par une justice dynamique et adaptée. Si elle ne l’est pas (adaptée) alors les décideurs publics ont le devoir d’agir et de renforcer les services de la justice, tout en préservant un droit fondamental, celui à la vie privée. Si les 300-400 personnes ayant insulté Bilal Hassani se retrouvent devant un tribunal, alors ce sera un succès pour les libertés numériques et un avertissement général : oui, la loi s’applique aussi au comportement délictueux sur les médias sociaux.
Déjà 6 avis pertinents dans Faire tomber l’anonymat : une bonne idée ?
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Par contre, tu occultes le.s coût.s d’une plainte : argent, temps, et le fait qu’elle sera rejetée ou non, suivant la nature de la plainte et la personne qui la reçoit.
Du coup, ton raisonnement est bon mais pas facile à mettre en oeuvre.
On rajoute aussi le fait que les gouvernements enlève du budget à la Justice donc peu de suites possibles aux plaintes, etc.
Mais n’est-ce pas là aussi un choix des acteurs politiques successivement élus ces 30 dernières années ?
Mais pour moi, il y a deux vrais enjeux : l’anonymat et la protection judiciaire des lanceurs d’alerte ; la protection du secret des sources. A chaque fois, les autorités lancent un contre-feu pour masquer les vrais enjeux. Et l’anonymat, tel qu’il peut exister aujourd’hui n’en est pas un ! ;+)