Croissance, redistribution, progrès

J’ai présenté ici Signaux Faibles, le dernier article parle écologie, carbone, déconsommation. Je vous invite aussi à lire cet article.

Individu et collectif

La très large insuffisance des « gestes individuels » – malgré leur impact réel et leur nécessité – pour répondre à l’urgence climatique sera de plus en plus mise en lumière à mesure que des travaux en montrent les limites, comme celui récemment effectué par Carbone4 : « Nous avons établi une liste d’une douzaine d’actions relevant de la seule volonté d’un individu [puis] regardé ce qu’il était possible d’espérer en termes de baisse de l’empreinte carbone. (…) Au total, la combinaison d’une posture « réaliste » en termes de gestes individuels (environ -10%) et d’investissements au niveau individuel (environ -10%), induirait une baisse d’environ -20% de l’empreinte carbone personnelle, soit le quart des efforts nécessaires pour parvenir à l’objectif 2°C. La part restante de la baisse des émissions relève d’investissements et de règles collectives qui sont du ressort de l’État et des entreprises ».

J’avais eu un échange intéressant avec Laurent Claessens dans les commentaires de Voiture et vélo aux Sables d’Olonne. J’avais comme pressentiment que les « gestes individuels » (consommer moins/mieux, limiter ses déplacements en voiture, etc.) allaient rapidement montrer leur limite. Attention je ne suis pas du tout en train de dire que ça ne sert à rien, je veux juste replacer les efforts individuels dans l’impact final sur le climat. On peut être 5% à ne plus du tout prendre la voiture, une loi qui demain interdirait la voiture à l’ensemble de la population serait évidemment bien plus efficace.

Je parle de cette évidence car je comparais impact individuel et collectif (contraint par la loi, décision politique donc). Un changement individuel ET collectif étant nécessaire de toute façon.

Croissance et décroissance

Sur la croissance. Début octobre, les citoyens tirés au sort pour la Convention citoyenne pour le climat ont donné une réponse claire au moment de désigner le principal frein à la transition écologique : « l’obsession pour la croissance ». « A leurs yeux, spontanément et très majoritairement, la croissance apparaît comme un problème, pas une solution » écrit l’économiste Eloi Laurent.

Pourtant tout indique de plus en plus clairement que la résolution du défi climatique ne pourra se faire sans un puissant mouvement de compression des inégalités sociales, à tous les niveaux. Avec l’ampleur actuelle des inégalités, la marche en avant vers la sobriété énergétique restera un vœu pieux. D’abord parce que les émissions carbone sont fortement concentrées parmi les plus riches. Au niveau mondial, les 10 % les plus riches sont responsables de près de la moitié des émissions, et les 1 % les plus riches émettent à eux seuls plus de carbone que la moitié la plus pauvre de la planète. La réduction drastique du pouvoir d’achat des plus riches aurait donc en tant que telle un impact substantiel sur la réduction des émissions au niveau mondial. Par ailleurs, on voit mal comment les classes moyennes et populaires des pays riches comme des pays émergents accepteraient de changer leur mode de vie (ce qui est pourtant indispensable) si on ne leur apporte pas la preuve que les plus aisés sont mis à contribution. La séquence politique observée en France en 2017-2019, étrangement absente de la campagne, apporte une illustration dramatique et emblématique de ce besoin de justice.

Un dernier article indispensable, Environnement : l’impossible équation décroissante.

Il n’y a pas de moyen crédible de réduire les inégalités mondiales significativement sans croissance économique (jointe à une meilleure distribution des revenus à l’intérieur des pays). Et il n’y a pas de moyen crédible de lutter contre le changement climatique sans envisager des changements technologiques majeurs qui toucheraient l’intégralité de notre consommation et de notre production. Il n’y a pas d’autre voie pour préserver l’environnement et réduire les inégalités mondiales qu’une combinaison de croissance économique, de redistribution, et de progrès technologiques majeurs.

Et de conclure : « La seule décroissance qui marche, c’est une bonne guerre ».

Déjà 3 avis pertinents dans Croissance, redistribution, progrès

  • Pierre
    Pour ma part, je vois un moyen simple de permettre aux individus de diminuer leur emprunte carbone sans effort et sans qu’ils ne s’en rendent compte : taxer fortement les importations pour lesquelles on peut produire localement (ou dans un environnement proche), en quantité suffisante et avec un niveau de qualité équivalent ou supérieur.

    Ceci devrait en premier lieu concerner les industriels qui vendent des produits transformés dont plus de 50% des ingrédients proviennent de destinations éloignée de l’endroit de commercialisation et ensuite. Pas simple pour eux à mettre en place, mais si ils savent trouver des solutions pour se fournir moins cher à l’autre bout du monde, délocaliser la production de certaines choses pour payer moins, faire des montage fiscaux, installer des filiales, dans certains pays pour payer moins de taxes, ils pourraient faire de même pour simplement ne pas avoir à mettre un produit hors de prix que personne ne voudra acheter sur le marché à cause de taxes super élevées ou bien décider de quitter le marché, ce qui laissera la place aux petits producteurs.
    Et bien entendu ceci devrait aussi concerner les produits non-transformés vendus aux consommateurs.

    On pourrait prévoir certaines exceptions pour des produits AOC ou autres mais l’idée est là.

    Ensuite, on pourrait appliquer une taxe moins importante cette fois sur les produits qui viennent de loin mais qu’on ne peut pas produire sur place ou sur les produits qui ne sont pas de saison.

    L’argent de ces taxes devrait ensuite être utilisé pour soutenir la production et le développement d’alternatives locales, pour subventionner certaines filières, etc.

    Du coup le consommateur se détournerait naturellement de ce qui est cher et changerait ses habitudes sans trop s’en rendre compte.

    Bien entendu dans un mode capitaliste ultra-libéral, de libre concurrence ou seul l’argent règne en maître, ceci reste une pure utopie. Mais si on voulait, on pourrait.

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